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Le mont moucher (Lozère) 1

22 Juin 2014, 12:48pm

Publié par Mika

Il y est arrivé…

Il a réussi à m’attirer dans sa tanière ! Je me suis faite bernée par le vieux grizzly comme la première oursonne venue, attirée par le miel et les confitures de mûres.

Debout devant la fenêtre je contemple la blancheur immaculée de la neige qui recouvre tout. Tout. Y compris le seul chemin qui mène à « la petite maison dans la forêt ».

Aligots, fricandeaux, omelettes aux champignons. Saucisse sèche, jambon cru et pâté de campagne… Les richesses étincelantes de la lointaine Lozère dans sa bouche miroitaient comme des diamants ! Ah ! Il n’a pas tari d’éloges sur sa terre natale le bougre ! Dans notre appartement de la grande ville civilisée il m’avait chanté les bienfaits de sa Lozère natale ! Mes yeux en brillaient d’envie. Il avait juste omis quelques détails… Et moi, blasée du ciment gris et des toits tristes de la capitale, émoussée par les gaz d’échappements nocifs et les publicités murales criardes qui piquent les yeux, je me suis faite éblouir de ces promesses de vie sauvage où la nature règne en maîtresse cruelle et indomptable sur des êtres humains réduits à leur plus simple expression de mammifères affamés profitant des générosités extraordinaires de mère nature.

Un gratin de pommes de terres aux cèpes avec de la crème fraîche. Une soupe de potiron sauvage. Un bon feu de cheminée le cul coincé dans un vieux rocking-chair les doigts de pieds perdus dans l’épaisse fourrure d’ours délicatement étalée sur le vieux parquets grinçant poli par des générations de petits Béberts en culotte courte… Le pied quoi ! Du moins c’est ce que je m’imaginais ! C’était trop beau pour être vrai !

Et puis il y a eu cette coïncidence. Des congés d’hiver communs ! Déjà j’aurais du flairer le piège… Mais les arômes fumés de la charcutaille ont trompé mon flair infaillible. Je me suis faite avoir et maintenant je suis là, bloquée dans sa tanière jusqu’au dégel.

Quand on est parti il faisait beau. Quand on y est arrivé aussi. Froid mais beau ! Les forêts de conifères du Mont Lozère étaient blanchies par le givre et offraient aux touristes citadins de ma trempe un spectacle « nature et découverte » de toute beauté que le béton de la ville ignorerait toujours. La route avait été longue et sinueuse. Mais point de feu rouges ou de bus transportant leur lot de visages ternes et tristes ! Par contre qu’est-ce qu’on a pu croiser comme tracteurs, camions citernes (pour collecter le lait dans les fermes qu’il m’a dit mon chauffeur), paysans à mobylettes et autres ruralités incongrues !

Des « Oh » et des « Ah » ainsi que quelques « beuhhaaah » plus tard (ça tourne l’air de rien) nous sommes arrivés au chalet familial du Bébert. C’était une petite maison de rondins du genre de celles où on imagine facilement vivre un grand barbu en chemise à carreaux vivant avec comme seuls compagnons sa hache et son caribou apprivoisé.
Enfin bref : un joli petit chalet sentant la résine perdu au milieu d’une forêt de sapins au vert profond et aux sous-bois obscures.

Mais tout ça n’était que promesses ! Du vent ! De la poudreuse aux yeux !

Quand on a débarqué il faisait presque nuit. Et puis surtout il devait faire au moins -20°C ! Et même pas un lampadaire pour nous éclairer. Bébert a du laisser les phares allumés le temps qu’il décharge tout. Moi ? Je suis restée dans la voiture. Trop froid ! Pas habituée ! Je suis une citadine à la peau fine et aux muscles atrophiés ! Après tout c’est lui qui est natif du coin, pas moi ! C’est lui qui a la couenne épaisse et le poil fourni !
En sortant les dernières valises du coffre il m’a dit qu’il allait allumer le groupe électrogène pour qu’on puisse au moins avoir de l’eau chaude dans une ou deux heures.

J’ai rien dit. Me suis juste calfeutrée dans mon gros manteau et ai monté le chauffage de la voiture à fond.

Salaud.

J’ai refusé de sortir de la voiture ! Du moins pas tant qu’un bon feu ne brûlerait pas dans l’âtre et qu’un bon plat typique et surtout bien chaud ne m’attende dans le fauteuil en face de la cheminée salvatrice.

Il l’a allumée la cheminée. Quand je suis rentrée dans le chalet il faisait meilleur ! Au moins deux ou trois degrés de plus que dehors… Je suis directe allée m’asseoir devant le feu. Pas de peau de bête. Pas de rocking-chair. Juste un vieux canapé râpé et une table basse bancale poussiéreuse. Au moins je ne perdrai pas mes orteils cette nuit m’étais-je dit en me couvrant du plaid orange que Bébert avait daigné m’apporter. Avec une assiette où nageait une sardine à l’huile et une tranche de corned-beef. « C’est tout ce que j’ai trouvé dans les placards ! Bon ap’ ! Demain matin j’irai faire les courses. » M’avait-il lancé avant d’aller préparer les chambres.

Foutues vacances !

Foutue Lozère où même les corbeaux volent à l’envers pour ne pas voire la misère !

Et foutue nuit !

J’ai pas pu fermer l’œil ! Pas assez de bruits. Trop de silence. Et puis toute cette obscurité insondable autour de ce petit chalet perdu au fond des bois ! J’ai eu beau me calfeutrer sous les trois couvertures je sentais le vent froid de dehors siffler entre les troncs des sapins ! Et puis la forêt c’est farci de bêtes sauvages ! Bébert m’a dit sur la route qu’il y avait des sangliers aux défenses coupantes comme des rasoirs dans les bois autour du chalet et que donc fallait pas s’affoler si on entendait du bruit la nuit. Des sangliers ? Et puis des loups et des ours aussi sûrement non ? J’ai flippé en somme. En plus cet abruti de Bébert n’a pas pu s’empêcher une fois qu’on a eu fini de manger de me raconter l’histoire de la bête du Gévaudan ! Cette bête qui il y a trois cent ans a tué et attaqué des centaines de gens. Bêtes qu’on n’a jamais identifiée et qui reste un mystère. « Et c’est où le Gévaudan ? » Que j’ai demandé. « Ici ! » Qu’il m’a répondu en souriant à la lueur des flammes dans la cheminée.
J’ai pas dormi. Je guettais le silence extérieur sentant le regard froid et injecté de sang de la bête surveillant notre petite maison de bois.

Au petit matin, alors qu’un faible rai de lumière traversant l’entrebâillement du volet de bois Bébert vient me chercher. Je suis déjà réveillée depuis un moment quand mon ours apprivoisé tapote à la porte.



« J’arrive Bébert ! » Mais je préfère nettement rester dans le lit bien chaud. Et puis je suis sûre que l’homme va préparer le petit déjeuner en m’attendant ! Allez hop ! Debout !

Bizarrement il fait meilleur ! Ou peut-être est-ce mon corps qui mue pour s’adapter à cet environnement sauvage et cruel ? Je sens d’ailleurs ma peau plus épaisse sous le tissu polaire de mon sous-pull de nuit.

Alors que je sors de la chambre revêtue d’une épaisse robe de chambre molletonnée style années soixante dix l’odeur de café chaud me saute aux narines.

« Yesss ! Du café ! » Cris-je en trottinant jusqu’à la cuisine. « J’ai bien cru que même ça vous connaissiez pas dans votre cambrousse ! »

Sans relever la pique Bébert pose sur moi un regard sombre.

« Il a neigé cette nuit ! » Marmonne-t-il avant d’ingurgiter une lampée de liquide noir et fumant. Il est déjà habillé d’une épaisse chemise bleue et d’un gros pantalon gris. Derrière dans le salon le feu brûle encore. Il a même entretenu le feu cette nuit le bonhomme ! Un vrai gentleman ! (ouf c’est pas ma peau qui s’épaissit ! J’aurai toujours le même teint de velours et la douceur de la pêche !)

« Ah ouais ? » Me suis-je extasiée en me jetant à la fenêtre pour contempler la blancheur immaculée.

J’imagine déjà la poudreuse blanche tapissant le sol noir et les arbre de son coton gelé. Dehors les branches basses des sapins frôlent la masse blanche et froide. Il a même sacrément neigé. La voiture n’est plus qu’un gros monticule comme les tumulus funéraires de peuplades barbares d’antan. On ne voit même plus le chemin.

« Au moins60 cm. » Me dit Bébert en reposant sa tasse.

C’est au moment où je m’assoit sur la chaise en bois et que je constate la frugalité de la collation (café, sucre en morceau confiture et biscottes) que je comprend l’expression inquiète de mon Bébert.

La neige.

Le chemin…

« Mais comment tu vas faire pour les courses ? » Cris-je en me levant d’un bon pour inspecter le contenu des placards.

Café. Boîtes de conserve (petit pois, cassoulet, petits pois, blettes, petits pois). Sucre. Et un vieux paquet de pâtes suspect.

« Comment JE vais faire ? JE vais prendre mes skis de fond, mon sac à dos et en avant. L’épicerie est à une heure de marche. JE serai de retour dans trois heures ! Et toi TU n’auras qu’à rester au chaud dans le chalet. La vieille radio doit encore fonctionner.»

J’ai oublié de dire qu’évidement il n’y a pas la télé. C’était tellement logique dans ce trou paumé que je ne m’en était même pas aperçue la veille.

Donc aujourd’hui je vais tenir compagnie à une vieille radio.

Super !

Et puis si les piles sont nazes je pourrais toujours utiliser celle de mon épilateur électrique ! Vu la neige et le froid j’ai tout intérêt à me laisser pousser les poils !

« Alors tu vas me laisser seule ? » Murmure-je en lui faisant des yeux de biche. « Ne tarde pas trop en chemin s’il te plaît. Je ne me sens pas très rassurée au milieu de ces bois. C’est un peu effrayant tout ça ! »

Muet le bonhomme enfile écharpe, gants, polaire et sac à dos. Un gros bonnet de laine lui recouvre le crâne. Alors qu’il ouvre la porte en poussant rudement le tas de neige derrière il se tourne vers moi une dernière fois.

« Attends-moi ici. Je te demande juste d’entretenir le feu. Et si jamais le générateur s’éteint, il y du gasoil dans l’appentis derrière la maison. Par contre fais gaffe en sortant : aux premières neiges les ours blancs ont tendance à rôder autour de la maison ! »

Je ne sais pas trop comment prendre ça !

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