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La Bête

23 Juin 2014, 07:47am

Publié par Mika

Clafoutis aux cerises !

C’est la parade que j’ai trouvé aux velléités à venir de Bertrand ! Clafoutis aux cerises du jardin s’il vous plaît. Avec les cerises que sa maman a cueillies de ses petites mains usées et parcheminées debout sur son escabeau -70 balais la vieille et elle retourne encore son potager de deux hectares à la bêche- donc cerises bio provenant directement du verger familial lozérien du bonhomme.

Vous avez vu hein ? Je me fous pas sa gueule au pépère ! Monsieur rentre de ses trois huit à 3heures du mat’ et madame (moi quoi !) se lève aux aurores un samedi matin pour lui bricoler du gâteau pour le petit déj. La belle vie le bonhomme !

En plus c’est mon premier clafoutis en autonomie complète ! Me suis levée à 7h pour étudier le manuel de cuisine qu’il planque dans le placard au dessus du four. Bon… j’ai passé une heure à les dénoyauter déjà et presque une boîte de dix œufs parce que j’en ai foiré un paquet… Mais c’est normal je débute ! Et puis de toute façon là, le clafoutis cuit tranquillement dans le four et doit même être bientôt fini !

-C’est quoi ce bordel !

Ah ! Bebert vient de se réveiller et me regarde depuis l’encadrement de la porte de la cuisine. Il a les yeux bouffis et le poil hirsutes. D’un pur réflexe biologique inconscient il se gratouille les testicules d’un air à la fois perplexe et un poil en colère. Faut dire qu’il y a de quoi ! Je m’attendais pas à ce qu’il se lève si tôt (ou que je mette tant de temps à torcher le truc) et du coup ben la cuisine est bordélique. De la farine sur tous les plans de travail, des coquilles d’œufs éparpillées en miettes sur la table, les bols et le fouet dégoulinants posés n’importe où et les placard béants.

-Je t’ai fait un gâteau pour le petit déj ! Que je lui réponds avec un grand sourire.

Là le bonhomme devient livide et semble à deux doigts de faire un malaise. D’un pas peu sûr il s’accroche à la poignée de la cafetière.

-Mais t’as même pas préparé le café ! Rugit-il.

-Ben non ! J’ai pas eu le temps encore !

C’est vrai quoi ! ça fait deux bonnes heures que je m’acharne à faire un gâteau pour monsieur et voilà comment il me remercie ! « T’as même pas fait le café ! » Mais vas t’étouffer avec ton clafoutis gros con que je me dis dans ma tête en le regardant d’un œil noir.

-Bon tant pis… Lâche-t-il. Enfin tant mieux en fait ! Tu sais pas faire le café de toute manière !

Connard ! Sur ce le bonhomme prend la cafetière, la remplit d’eau et prépare le percolateur.

-Et sinon tu vas me dire pourquoi tu m’as fait un gâteau ? Parce que je me doute bien que c’est pas juste pour me faire plaisir ! Je te connais à force…

Oui ça pour me connaître il me connaît ! Même si à chaque fois ça me laisse de cul, sous ses aspects bourrus et mal dégrossi il a l’art de lire en moi comme dans un livre ouvert.

-Ben… Euh…

Comment lui dire ? ça va pas être facile… je sens bien que ça va le contrarier.

-Bon ! T’accouches ? Râle-t-il en appuyant sur le bouton de la cafetière puis en s’asseyant en face de moi.

-Faut que je t’avoue un truc Bébert !

-Ah ! Coupe-t-il. J’aime pas quand tu commences comme ça !

-Si tu me coupes tout le temps on va pas y arriver !

-T’as raison ! Vas-y ! Expliques ! Soupire-t-il en regardant fébrilement le café s’écouler trop doucement à son goût.

-Ben hier aprem je bossais pas tu t’en souviens ? Je te l’avais dit avant que tu partes pour tes trois huit.

-Oui ! Admet-il l’oeil méfiant.

-Je t’avais dit que j’irais faire les courses…

-Oui… Et t’as encore oublié le PQ c’est ça ? Va encore falloir s’essuyer tout le week-end avec du sopalin !

-Non c’est pas ça !... Ah mais merde oui ! J’ai oublié le PQ t’as raison…

Là, les coudes sur la table, l’homme se prend la tête à deux mains et tente d’imiter l’autruche fuyant le danger en se cachant la tronche dans un trou.

-Mais c’est pas ça dont je voulais te parler ! De toute façon il reste assez de sopalin pour tenir jusqu’à lundi. Mais c’est pas ça le problème… Enfin pas ça dont je voulais te parler du moins !

-Tu me fais peur Lili… Tu me fais peur… Marmonne l’autruche entre ses grosses pattes velues.

Allez je me lance cette fois ! Certes il a pas l’air commode le Bébert mais moi aussi je commence à le connaître à force de le côtoyer. Au pire il va s’énerver tout rouge, me lâcher un « t’es trop conne » ou « tu fais chier » et après il ira fumer une roulée à la fenêtre en buvant un grand mug de son café et après hop ! Il arrêtera de me faire la gueule ! Parce qu’en plus il le sait pas encore mais je lui ai loué « Mon nom est Personne » au vidéo club pour ce soir à la téloche (avec pizza bière bien entendu !). Et puisque à part une remontrance, quelques insultes et une grève du cuistot pendant quelques jours, je ne risque finalement pas grand-chose, il est donc temps que je lui crache le morceau !

-Tu savais qu’ils ont ouvert une animalerie dans la galerie marchande du supermarché ?

-Hein ? Quoi ?

Là sa tête hirsute a jaillit d’entre ses mains.

-Une animalerie ! Enfin un magasin où ils vendent des bêtes et tout le matériel qui va avec !

-Noooon ! T’as pas fait ça ? Bredouille-t-il l’air soudainement inquiet.

-Si je l’ai fait ! J’ai pris un hamster !

-Putain tu fais chier ! T’es trop conne !

Tiens ! Je vous l’avais pas dit hein ? Je connais la bête sur le bout des doigts.

-Qu’est-ce tu veux qu’on foute d’un hamster ! ça pue, ça fait du bruit… Et puis merde quoi ! Je voulais un chat moi !

-Ah ah ! Un chat ! M’esclaffe-je. Je le sais que tu voulais un greffier ! Mais moi j’aime pas ça ! Et ça pue et ça fait aussi du bruit et en plus c’est méchant !

-Non c’est faux ! S’insurge-t-il. C’est gentil les chats ! C’est juste que toi ils t’aiment pas !

-Là-dessus je dois concéder que t’as raison ! Ils m’aiment pas et je les aime pas ! Donc pas de chat !

Sur ces mots la cafetière émet son bip bip chaleureux nous indiquant que le café est enfin prêt. Bébert, dans le crissement de sa chaise sur le carrelage se lève, se regratte les boules, attrape un mug qu’il remplit à ras bord de jus noir et fumant puis se rassoit.

-J’te jure tu fais chier Lili ! Lâche-t-il après avoir humé les arômes caféinés de sa tasse.

-De toute façon c’est trop tard pour le chat maintenant que j’ai pris Charles !

Et tac ! Visez un peu la fine tacticienne que je suis ! Qui dit hamster dit pas de chat. Incompatibilité biologique oblige !

-Charles ? Interroge-t-il l’œil brillant de connerie. Tu l’as appelé Charles ?

-Oui… Réponds-je vexée.

Bébert, l’air un peu mieux réveillé maintenant, avale sa première gorgée de café. Pour tout vous dire ça fait un peu comme le docteur Jekyll et Mister Hyde quand l’homme ingère sa première ration caféinée de la journée. En l’espace de quelques secondes, la bête hirsute aux yeux injectés de sang (c’est l’effet que me font ses yeux bouffis au réveil) retrouve peu à peu forme humaine.

-Bon… Et tu comptes me présenter la bête quand ? Lâche-t-il finalement un sourire en coin.

Je sais bien que le bonhomme vénère les chats comme le faisaient les égyptiens… Qu’il a pour ses prédateurs cruels et vicieux un amour proche de l’idolâtrie cajoleuse, et que donc il est forcément un peu déçu… Mais au final, en bon bouseux de la Lozère profonde et sauvage, une petite bête avec des poils, même si elle ne miaule pas, ne mange pas de croquettes en formes de poisson et ne chie pas des étrons abominablement puants dans sa caisse, ben ça reste une petite bête poilue qu’il a forcément envie d’aller titiller avec des « minouminou minou » et des « ntttnntttnnt » bisouteux. Je le connais le Bébert. Un chat, une vache ou un octodon du Chili, au final pour lui ça reste une bête qu’il aura toujours envie de câliner de ses gros doigts calleux !

-Ben la cage est derrière toi, sur le plan de travail à côté de la porte….

J’ai pas le temps d’en dire plus que Bébert s’est déjà relèvé mug à la main et gratouille les barreaux de fer de ses ongles noirs de crasse.

-Ben dis-donc ! Lâche-t-il toujours en me tournant le dos et en m’exposant son imposant fessier tout juste recouvert d’un caleçon douteux. T’as pas fait semblant ma grande ! Cage grand luxe deux étages, copeaux parfumés aux fruits des bois, bâton de graine enrobé de miel… Mais je le vois pas ! Il est où ?

C’est là que le bât blesse (encore).

-Ben… Euh…

-Il est planqué dans le coton hydrophile que tu lui as mis ? J’le vois pas ! Râle-t-il en se tournant vers moi.

-Ben… Il est pas dans sa cage !

-Hein ? Qu’est-ce tu dis ?

-Ben il est plus dans sa cage ! Il s’est enfui !

-Putain t’es chiante ! Mais t’es vraiment conne !

Sur le bout des doigts je vous dit !... Sur le bout des doigts !

-Mais comment ça se fait ?... Comment t’as fait ?

-Ben j’ai voulu lui donner un bout de pain ce matin, et à peine j’avais ouvert la cage qu’il s’est jeté sur mes doigts. Là j’ai eu peur, j’ai retiré ma main mais Charles a réussi à sortir et à se barrer. Et depuis je le retrouve pas. Donc il est là, quelque part dans l’appart mais je sais pas où…

Là j’ai senti chez Bébert comme un long sentiment de désespoir. Il s’est rassit à la table, a fini son mug dans un silence lourd de reproches et l’a re rempli de café fumant.

Au bout de quelques secondes il relève la tête et me regarde.

-Dis Lili… Tu trouves pas que ça sent le brulé ?

-Putain le clafoutis ! Mais quelle conne. Cris-je d’un coup en me levant.

Sur ce, Bébert, plus enclin que moi aux reflexes de base de la vie de tous les jours, se jette sur ses manicles Peggy la cochonne et ouvre le four. Une épaisse fumée noire toxique s’en échappe tandis que j’ouvre la fenêtre derrière mon pompier de service.

-Bon ben le clafoutis est mort ! Constate-il amèrement en contemplant le plat carbonisé.

-Ça je me doute ! Réponds-je en agitant les fenêtres pour faire sortir la fumée.

-Par contre j’ai retrouvé Charles. Lâche-t-il toujours devant la gueule béante du four fumant.

Et merde !

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