Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La fracture

23 Juin 2014, 07:48am

Publié par Mika

-Tu foutais quoi sérieux ! Ça fait deux heures que je t’attends comme une cruche bloquée dans ce foutu lit !

-Excuse-moi Lili… Les visites ouvraient qu’à 9h.

-Oui ! Ben c’est 11h quand même ! Et à tous les coups le docteur va se pointer pour sa visite de la journée et tu devras ressortir parce qu’il est hors de question que tu me vois en petite culotte dans cette chemise de nuit infâme !

-Peuh ! Comme si je t’avais jamais vu à po…

-Ta gueule !!

Et oui ! Oh grandes joies inattendues de la vie, me voici moi Eliane, bloquée dans une chambre d’hôpital en plein mois de juillet ensoleillé, à végéter dans un lit même pas confortable. Et même pas un beau docteur sous la main ! Que des infirmières stagiaires qui te transpercent les bras à la moindre prise de sang ou te luxent l’épaule à chaque manipulation…

Je me suis pétée la jambe au boulot …

Rigolez pas ! Hier aprem le patron m’avait demandé de tester les nouveaux vélos d’appartement qui devaient être installés dans la salle de cardio… Je les ai testés et paf ! Me voilà chez les blouses blanches avec un tibia droit en miette et des jolies broches en métal brillant qui me sortent de la peau. Rien qu’à les regarder je fais des malaises… D’ailleurs je suis déjà tombée 4 fois dans les pommes depuis le petit déjeuner dont une fois pendant la toilette et une fois sur les chiottes pendant un moment d’intimité que l’infirmier, ce connard, s’est marré comme une baleine en me relevant… Enfin bref ! Depuis hier je suis donc bloquée dans ma chambre d’hôpital aux murs blancs à danser un coup sur la fesse droite un coup sur la fesse gauche et à regarder des conneries à la télé que l’accueil m’a gracieusement avancée puisqu’évidement quand je suis arrivée j’étais toute seule et sans le sous… Maman étant sur la Côte d’Azur avec son nouveau mec j’ai donc dû me tourner vers mon colloc préféré pour venir me tenir la main dans ces moments de solitudes et de douleur.

Et ce con qui trouve le moyen de ne même pas être là à l’heure alors que je sais pertinemment qu’il ne bosse pas aujourd’hui !

-Et tu foutais quoi pour arriver à la bourre comme ça ? Eructe-je vraiment énervée.

-Ben en arrivant dans le hall d’accueil je me suis dit que si je t’apportais un café ça te ferais plaisir non ?

-Oui c’est vrai. Admets-je un instant apaisée par l’idée d’un café fumant bien réconfortant.

Il a beau être bourru, peu ponctuel et souvent râleur, Bébert n’en reste pas moins très serviable et même régulièrement capable d’éclairs de bon sens en ce qui concerne mes besoins.

-Et donc il m’a fallu trouver un distributeur… Dis-donc ! Je savais pas à quel point il était grand cet hosto ! Un vrai labyrinthe! Des couloirs partout qui se ressemblent tous… Tu t’es pas perdue en arrivant toi ? Parce que moi oui…

-Non j’ai pas vu ! Le coupe-je. Je suis arrivée par les urgences abruti ! On m’a tractée en charrette à sangles pendant que je vomissais tripes et boyaux sous la douleur !

Mais qu’il est con quand il s’y met !

-Excuse-moi… Et donc j’ai fini par trouver un distributeur à gobelets à côté du service gastro-entérologie…

-Ah ben c’est gai tiens !

-En fait c’est une infirmière qui m’y a amené parce que je m’étais retrouvé à la maternité par erreur…

-Mouais… Tu devais être bien content ! Soupire-je blasée. T’as du en profiter pour draguer ton fantasme en blouse blanche !

-Arrêtes de râler ! Elle m’a montré où était la machine à café au moins !

-Oui ! D’ailleurs il est où ce café ? J’ai bien envie de le boire maintenant !

-Ben euh…

-Quoi ? Demande-je soudainement agressive, flairant le coup fourré.

-Ben en fait je lui ai offert le tien….

-Hein ?

-Ben oui… Pour la remercier de m’avoir aidé. Et du coup on a bu ton café en papotant un peu…

Là j’ai préféré ne rien dire sinon les noms d’oiseaux auraient fusés. Mais alors quel abruti celui-là ! Il a préféré boire MON café en charmante compagnie alors que je poireaute depuis des plombes dans cette cellule lugubre avec pour seule amie la télécommande de la télé et un pigeon qui me regarde avec ses yeux rouges planté sur le rebord de la fenêtre.

-Tu m’en veux pas au moi…

-Si! Le coupe-je brutalement. Tu préfères taquiner l’infirmière en sirotant des capuccinos pendant que j’agonise dans d’atroces douleurs seule dans mon lit à l’article de la mort en buvant des tisanes insipides dans des verres de cantine!

C’est fou ça d’ailleurs ! Dans tous les hôpitaux, depuis des décennies, certains rituels restent inchangés. L’éternelle infusion du soir à la verveine servie dans son verre que j’avais les mêmes quand j’étais gosse à la cantine. Les chemises de nuit « cul nu apparent ». Les biscottes sans sel avec une crotte de beurre et de la confiture de prune (argh) en petit pots plastiques que t’en as jamais assez pour les recouvrir et que donc, quand tu t’aventures à les manger toutes parce que tu crèves la dalle ben tu risques la mort par étouffement à chaque instant. Heureusement que les dites biscottes sont servies avec un café de cafetière fait gracieusement par les infirmières qui ne savent jamais faire du bon café mais qui permet quand même de faire glisser le tout… Et puis les médecins ! Oui, les médecins à balais rectofixés! Ces infâmes dictateurs du stéthoscope glacé qui te disent à peine bonjour le nez rivé sur leurs papelards… Ah qu’ils les aiment leurs sempiternelles rengaines ! La bouche en cul de poule, stylo en main « Il faut mette moins de sel dans vos aliments madame ! », ou bien le « Il faut arrêter de fumer à votre âge maintenant ! » avec l’haleine chargée du fumeur de havanes ou encore ma préférée « elle a pété ce matin ? Elle est allée à selle à quelle heure?»… Enfin si ! Je suis de mauvaise langue ! Il y a un truc qui a changé quand même : les thermomètres ! Maintenant c’est dans l’oreille ! Finies les sodomies thermométrales par des infirmières camionneurs aussi douce que des dockers cocaïnomanes. Comme quoi y a du progrès. Un peu… On a moins mal au cul en tout cas.

-Bon ! Et sinon, tu m’as ramené tout ce que je t’avais demandé ?

Oui c’est bien beau tout ça mais comme je n’avais pas planifié de me faire une fracture ouverte hier, je me retrouve sans change à part mon pantalon taché de sang et sans la moindre thune puisque j’avais laissé mon sac à l’appart le matin… En fait je suis arrivée à l’hosto en véritable touriste ! Crac ! Fracture ! Evanouissement. Ambulance. Re évanouissement. Urgences. Bloc opératoire. Black-out (un peu comme une cuite mais sans la bouche qui colle). Et ce matin réveil dans cette chambre toute seule… Il m’a fallu batailler avec l’infirmière pour qu’elle me laisse appeler Bertrand afin qu’il m’amène mon nécessaire de survie en milieu hostile. Même en cellule de dégrisement ils sont moins casse-couille avec le fameux appel extérieur autorisé !

-Oui Lili. Je t’ai amené des sous bien sûr, des pantalons de jogging larges, des T-Shirt, ton peignoir, des petites culottes propres et tes tatanes. J’ai aussi pris ton téléphone et son chargeur ainsi que de la lecture.

-Et ?

-Et quoi !

-Et mes clopes andouille !

-Ah merde ! Je me disais bien que j’oubliais un truc !

Putain fais chier mais qu’il est gland ! Il croit que je vais regarder les autres fumer quand j’irai boire mes cafés en fauteuil roulant dans le petit jardin extérieur de la cafet’ ?

-Bah ! Je te laisserai mon paquet de roulé. C’est le tibia que tu t’es pété, pas le bras !

Imparable… Passons !

-Et sinon tu m’as pris quoi comme revues ? Paris-Match ? Voici ?

-Ah ? Tu voulais des revues ?

Consternée…

-Mais tu m’as pris quoi alors ? Crache-je de nouveau énervée.

-Ben des livres ! Des vrais ! Sans images quoi ! Me suis dit que vu que tu vas rester ici un bon moment, autant que tu aies des vraies lectures qui durent au lieu des histoires de cul du prince Charles et des éditos philosophique de Nabila. Mais je te rassure : je t’ai pris des polars pour que tu t’ennuies pas avec des trucs trop intellectuellement poussés.

Avec un peu de recul il faut admettre qu’il a eu raison… Des vrais bouquins ça me durera plus que les torchons à chiottes habituels, surtout que les docteurs m’ont prévenue que j’allais rester là un moment.

Bébert se lève et pose le sac de sport qu’il a amené sur le bout du lit en faisant attention à ne pas toucher ma jambe brochée et déballe les affaires qu’il range qui dans mon armoire, qui dans la table de nuit.

-Merci d’être là Bertrand. Lui susurre-je finalement contente de l’avoir à mes côtés.

Là il me sourit et branche le chargeur du téléphone à la prise à côté du lit.

-Dis-moi Lili !

-oui ?

-Il est bientôt midi ! J’ai vu le menu, c’est colin bouilli épinards ! Et…

-Et quoi ? Demande-je alors qu’il laisse planer un blanc avec son air goguenard du type ayant préparé son coup à l’avance.

-Ben… Appelle-les infirmières pour qu’elles t’habillent, te mettent sur un fauteuil et en avant, je t’amène boire un café sous les arbres du parc. En plus il fait beau ! Que tu puisses au moins profiter un peu de ces premiers jours d’été! Après on ira bouffer à la cafet’ plutôt que de te regarder piailler sur ta ration d’hosto… Je les ai prévenues que tu mangerais pas dans ta chambre et elles m’ont filé tes remèdes pour le repas !

Bertrand je l’aime bien quand il est comme ça me dis-je en appuyant convulsivement sur le petit interrupteur rouge d’appel.

Commenter cet article